Pourquoi les taux hypothécaires sont-ils en hausse?
Depuis un mois, la Banque du Canada a retranché non moins de 1,5 point de pourcentage de son taux à un jour, qui est maintenant d’à peine 0,25 %. Nombreux sont ceux qui s’attendaient à une baisse équivalente des taux hypothécaires. Les banques ont certes réduit les taux préférentiels dans la même mesure, soit de 150 points de base (pb). Pourtant, depuis la deuxième réduction de taux de la Banque du Canada, le 13 mars, les banques et d’autres prêteurs ont au contraire augmenté les taux hypothécaires, aussi bien fixes que variables. Ce n’est pas ce qui arrive habituellement quand la Banque réduit son taux à un jour. Cependant, la présente période est décidément hors de l’ordinaire.
La pandémie de la COVID-19 a tout bouleversé, paralysant l’économie mondiale et minant la confiance des entreprises et des consommateurs. Personne ne sait quand ce sera fini. Une telle incertitude, avec un tel risque pour notre santé, est profondément troublante.
La plupart des entreprises ont suspendu leurs activités, donc le chômage a explosé. Les travailleurs salariés et bien des travailleurs autonomes se sont retrouvés sans revenu pour une période indéterminée. Hormis les travailleurs essentiels, tous restent à la maison, comme les écoliers et les enfants d’âge préscolaire. Rien de tel ne s’est produit depuis un siècle. Pour la société et pour chaque personne, les répercussions sont énormes. Tous les gouvernements mettent en place des programmes de soutien du revenu pour les particuliers et pour les entreprises, mais ils n’ont pas encore envoyé des chèques.
Par conséquent, l’économie n’a pas seulement ralenti. Elle s’est arrêtée net, et elle se contracte à vue d’œil. Il n’y a plus de voyages. Le commerce international et les transports sont à l’arrêt. Le secteur manufacturier et le commerce sont à l’arrêt. Et c’est pareil dans le monde entier.
Par-dessus le marché, les Saoudiens et les Russes ont profité de la situation pour augmenter leur production pétrolière et faire chuter les prix, dans une tentative à peine voilée d’évincer les producteurs marginaux aux États-Unis et au Canada. Voilà qui a exacerbé les répercussions négatives pour notre économie et radicalement augmenté le fléchissement de notre marché boursier.
De nombreux Canadiens doivent maintenant vivre de leurs économies ou s’endetter en attendant l’assurance-chômage ou autre forme d’aide gouvernementale. Et quand l’aide arrivera, elle ne couvrira pas 100 % des revenus perdus. La majorité de la population a très peu d’économies, donc devra utiliser des marges de crédit hypothécaire ou autres lignes de crédit, ou bien les cartes de crédit. Les entreprises ont le même problème.
La bonne nouvelle est que les particuliers et les entreprises ayant des prêts liés au taux préférentiel profitent d’une réduction considérable de leurs versements mensuels. Toutes les grandes banques ont réduit leurs taux préférentiels de 3,95 % à 2,45 %. Ceux qui ont des prêts à taux variable, que ce soit un prêt hypothécaire, une marge de crédit hypothécaire ou une ligne de crédit d’entreprise, ont vu le coût de leurs emprunts baisser de 1,5 point de pourcentage. Ils ont ainsi d’autant moins à utiliser cette source de fonds pour remplacer des revenus perdus.
Mais pourquoi les taux des nouveaux prêts hypothécaires sont-ils en hausse?
Les perturbations de la COVID-19 ont sensiblement réduit les bénéfices des banques et autres prêteurs, et radicalement augmenté leurs risques. Voilà pourquoi les actions des banques et d’autres prêteurs cotés en bourse ont chuté, ce qui a fait augmenter leur taux de rendement en dividendes bien au-delà du rendement des obligations gouvernementales. Par exemple, l’action de la Banque Royale a chuté de 22 $ jusqu’à présent cette année, ce qui a porté son dividende annuel à 5,31 %. Pour la CIBC, l’action a baissé de 30 % et le rendement en dividende a grimpé à 7,66 %. En comparaison, le rendement des obligations du gouvernement du Canada à 10 ans est d’à peine 0,64 %. La différence est le reflet de la perception qu’ont les investisseurs du risque pour les banques canadiennes.
Ainsi, le coût des fonds pour les banques et autres prêteurs a augmenté fortement malgré la réduction du taux à un jour de la Banque du Canada. Les dépôts à court terme – surtout les comptes d’épargne et les comptes-chèques – sont la source de fonds la moins coûteuse. Cependant, les consommateurs sans emploi et les entreprises à l’arrêt puisent dans ces dépôts pour payer le loyer ou acheter à manger.
Les dépôts à plus long terme – les certificats de placement garanti (CPG) – sont des sources de fonds plus coûteuses. En revanche, comme les consommateurs doivent payer d’importantes pénalités s’ils les encaissent à l’avance, ils sont aussi une source plus fiable dans une période comme nous vivons. Selon le spécialiste des finances des consommateurs du quotidien Globe and MailRob Carrick : « Les taux de CPG devraient être dans la cave pour le moment, parce que c’est ce qui arrive généralement aux taux en période de tensions économiques. Mais les taux des CPG devraient suivre une évolution semblable à celle des taux hypothécaires, qui ont augmenté récemment parce que les prêteurs y intègrent une prime pour le risque de crédit qui est lui-même en hausse. »
Pour obtenir des fonds, certaines des plus petites banques ont augmenté leurs taux pour les comptes d’épargne et les CPG. Par exemple, la Banque Équitable donne 2,45 % sur son compte d’épargne à intérêt élevé et 2,55 % sur son CPG à 5 ans. D’autres petites banques rehaussent aussi leurs taux sur les CPG, augmentant le coût de leurs fonds. Rob McLister a noté que « Des banques comme Home Capital, la Banque Équitable et la Banque canadienne de l’Ouest ont augmenté leurs taux sur des CPG à un an de plus de 65 points de base ces dernières semaines, selon les données de l’analyste du marché du logement Ben Rabidoux. »
Les banques doivent augmenter les fonds réservés pour des pertes sur les prêts, ce qui accentue le déclin de leurs bénéfices. Une part anormalement élevée des pertes sur prêts des banques canadiennes vient du secteur pétrolier. Le risque de crédit est toutefois en forte hausse pour presque toutes les entreprises, petites ou grandes. On peut penser aux compagnies aériennes, aux compagnies maritimes, aux fabricants, aux concessionnaires d’automobiles, aux grands magasins et ainsi de suite.
Les prêteurs ont été inondés de milliers de demandes de report des versements hypothécaires.
Ainsi, face à des coûts en hausse et des revenus en baisse, les banques se serrent la ceinture. Elles ont sabré dans les taux préférentiels tout en supprimant les réductions du taux préférentiel accordées pour les nouveaux prêts hypothécaires à taux variable. Certains prêteurs vont sûrement commencer à demander le taux préférentiel majoré d’une prime pour ces prêts. Les banques ont aussi augmenté les taux des prêts hypothécaires à taux fixe, alors que toutes les pressions réduisant les bénéfices des banques amènent les investisseurs à insister que les banques paient davantage pour les fonds dont elles ont besoin pour assurer leur liquidité.
Autre source de préoccupation, les marchés financiers sont devenus de moins en moins liquides. Les vendeurs ne trouvent pas des acheteurs prêts à payer des prix raisonnables. Les écarts entre les cours acheteur et vendeur s’amplifient. Cela étant, la banque centrale et la SCHL achètent d’énormes quantités d’obligations hypothécaires. Pour la même raison, la Banque du Canada a aussi commencé à effectuer de vastes achats hebdomadaires de titres du gouvernement et de papier commercial. Ces entités gouvernementales sont devenues des acheteurs de dernier recours, apportant de la liquidité aux marchés hypothécaire et obligataire.
Ces marchés sont vitaux pour la stabilité financière du Canada. Les vastes achats de titres constituent ce qu’on appelle « assouplissement quantitatif », une stratégie à laquelle la Banque du Canada n’avait jamais recouru auparavant. Elle a été utilisée à grande échelle par la Réserve fédérale américaine et d’autres banques centrales lors de la crise financière de 2008-2010. Une banque centrale choisit l’assouplissement quantitatif pour préserver le fonctionnement des marchés financiers quand la confiance des entreprises et des consommateurs est si faible qu’elle n’a pas d’autre moyen de stimuler les investissements et les dépenses. Aujourd’hui, les entreprises et les particuliers sont en confinement, et personne ne sait jusqu’à quand. Face à une telle incertitude, la confiance en l’avenir est réduite. La tendance naturelle est à annuler les grandes dépenses et à attendre des jours meilleurs.
Nous vivons une période inédite. Quand l’urgence sanitaire sera passée, nous célébrerons le retour à une nouvelle normalité. Entre-temps, des choses apparemment étranges continueront de se produire sur les marchés financiers.