La pandémie saccage le marché de l’emploi au Canada
Une récession à nulle autre pareille
L’économie canadienne a été plongée dans un coma artificiel. Rien de tel n’était jamais survenu dans l’histoire moderne à l’échelle mondiale. Il ne faut donc pas se surprendre : les données économiques d’avril seront terribles. Il y a toutefois lieu de croire que l’activité économique touchera le fond en avril, vu que des régions commencent à alléger les restrictions.
L’économie reprendra, mais le choc psychologique est peut-être ce qui reste le plus inquiétant. Aussi grave que soit la situation, elle recèle de véritables possibilités en même temps que des difficultés. Il y aura des gagnants dans l’économie, pas seulement des perdants. Nous y reviendrons.
L’emploi s’est effondré au Canada en avril. Il y a eu 2 millions d’emplois perdus, ce qui a porté le taux de chômage à 13,0 %, à peine moins que le précédent record d’après-guerre de 13,2 %, en 1982 (voir le graphique ci-dessous). La chute record de l’emploi survient après la perte de 1 million d’emplois en mars, de sorte que le total pour les deux mois s’élève à 15,7 % de la population active d’avant le virus.
Les économistes prévoyaient deux fois plus de pertes d’emplois en avril – soit 4 millions –, sachant que plus de 7 millions de Canadiens ont demandé la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Les chiffres révélés aujourd’hui tiennent compte de la situation du marché du travail la semaine du 12 au 18 avril. Les demandes de la PCU sont plus récentes, donc nous pourrions bien voir des pertes additionnelles dans le rapport de mai.
Le taux de chômage de 13 % sous-estime le nombre réel de personnes sans emploi. En avril, le taux de chômage aurait été de 17,8 % si le taux de participation au marché du travail n’avait pas baissé. En comparaison de la situation un an plus tôt, il y avait 1,5 million de travailleurs de plus mis à pied de façon permanente mais ne cherchant pas un emploi, donc non comptés comme chômeurs.
Par ailleurs, le nombre de personnes ayant un emploi mais ayant travaillé moins de la moitié de leurs heures habituelles pour cause de COVID-19 a augmenté de 2,5 millions de février à avril. La semaine du 12 avril, l’effet cumulatif de la paralysie économique due à la COVID-19, en termes de nombre de Canadiens soit sans emploi ou travaillant sensiblement moins d’heures, s’élevait à 5,5 millions. Voilà qui est plus du quart du niveau des emplois de février.
En avril, l’emploi a baissé aussi bien dans le temps plein (-1 472 000; -9,7 %) que dans le temps partiel (-522 000; -17,1 %). Les pertes cumulatives depuis février s’élèvent à 1 946 000 (-12,5 %) pour les emplois à temps plein, et à 1 059 000 (-29,6 %) pour les emplois à temps partiel.
La baisse de l’emploi est sans précédent
L’ampleur de la baisse de l’emploi depuis février (-15,7 %) dépasse de loin les baisses constatées lors de ralentissements précédents du marché du travail. Par exemple, dans la profonde récession de 1981-1982, l’emploi a baissé en tout de 612 000 unités (-5,4 %), et ce, sur environ 17 mois.
Une plus grande part de la chute de l’emploi d’aujourd’hui découle de mises à pied temporaires. En avril, presque tous les nouveaux chômeurs (97 %) étaient en mise à pied temporaire. Dans les récessions précédentes, la plupart des mises à pied étaient permanentes.
En avril, plus du tiers (36,7 %) de la population active potentielle ne travaillait pas, ou travaillait moins de la moitié des heures habituelles. Tel est l’impact persistant de la paralysie économique due à la COVID-19. Il faut noter que les emplois perdus étaient encore davantage des emplois à faible rémunération. Pour ceux qui conservent un emploi, la rémunération moyenne a par conséquent fait un bon de 11 % par rapport à un an plus tôt.
Toutes les provinces ont été durement touchées
L’emploi a baissé dans toutes les provinces pour un deuxième mois de suite. Par rapport à février, la baisse est supérieure à 10 % partout, et le plus élevée au Québec (-18,7 % ou -821 000). Le Québec a aussi le plus grand nombre de cas de COVID-19 et de morts au Canada.
Le taux de chômage a augmenté sensiblement dans toutes les provinces en avril. Au Québec, il a atteint 17,0 %, le plus haut niveau depuis que des données comparables sont devenues disponibles en 1976 et le plus haut niveau de toutes les provinces (voir le tableau ci-dessous). Le nombre de personnes sans emploi a augmenté plus vite au Québec (+101,0 % ou +367 000) que dans toute autre région.
L’emploi a chuté de février à avril dans chacune des trois plus grandes régions métropolitaines de recensement (RMR). En proportion de l’emploi de février, Montréal a enregistré la plus forte diminution (-18,0 %; -404 000); viennent ensuite Vancouver (-17,4 %; -256 000) et Toronto (-15,2 %; -539 000).
À Montréal, le taux de chômage s’établissait à 18,2 % en avril, 13,4 points de pourcentage de plus qu’en février; il avait plafonné à 10,2 % dans la récession de 2008-2009. À Toronto, le taux de chômage était de 11,1 % en avril (5,6 points de pourcentage de plus qu’en février); à Vancouver, il était de 10,8 % (6,2 points de pourcentage de plus).
Les pertes d’emplois par secteur
En mars, presque toutes les pertes d’emplois se situaient dans le secteur de services. En avril par contre, elles étaient proportionnellement plus grandes dans le secteur des biens (-15,8 %; -621 000) que dans le secteur des services (-9,6 %; -1,4 million). Dans le secteur de production de biens, les plus grands perdants étaient le secteur de la construction (-314 000; -21,1 %) et le secteur manufacturier (-267 000; -15,7 %).
Dans le secteur des services, les pertes d’emplois se sont poursuivies dans diverses industries, à commencer par le commerce de gros et de détail (-375 000; -14,0 %) et les services d’hébergement et de restauration (-321 000; -34,3 %).
Certains secteurs continuent d’être moins touchés par l’arrêt des activités dû à la COVID-19 : les services publics; les administrations publiques; et le secteur finance, assurances et immobilier.
Dans les secteurs tant des services que des biens, les baisses de l’emploi constatées en deux mois depuis février sont proportionnellement plus grandes que celles enregistrées dans chacun des trois grands ralentissements du marché du travail depuis 1980.
À la relance graduelle de l’activité économique à la suite de l’interruption due à la COVID-19, la question cruciale sera de voir combien de temps il faudra pour le rétablissement.
Après les ralentissements précédents, l’emploi dans les services s’est redressé assez rapidement, revenant aux niveaux d’avant le ralentissement en quatre mois en moyenne. Par contre dans le secteur des biens, à la suite des récessions de 1981-1982 et de 1990-1992, il a fallu en moyenne plus de six ans pour que l’emploi revienne aux niveaux d’avant la récession. Et après la crise financière mondiale de 2008-2009, il a fallu 10 ans.
Des signes encourageantsLa situation est assurément désastreuse, mais il y a des signes que l’économie est près de toucher le fond. Le nombre de fermetures d’entreprises diminue dans la plupart des provinces, et les premiers signes d’une amélioration apparaissent, même s’il faudra encore quelque temps avant une réouverture complète. La confiance des entreprises semble s’être quelque peu améliorée vers la fin d’avril, selon des données de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Également à la fin d’avril, les économistes de la Banque Royale indiquent que les dépenses par carte de crédit semblent moins faibles. Dans le logement, les mises en chantier étaient à un meilleur niveau que prévu en avril. Plus encore, la propagation du coronavirus s’est atténuée, et diverses régions commencent à alléger les règles imposées pour aplatir la courbe.
En ce qui concerne le marché du logement, avant la pandémie, nous paraissions devoir connaître un printemps avec une activité record de ventes dans une bonne part du pays. Sauf dans les régions pétrolières – Alberta et Saskatchewan –, tout indiquait que le marché du logement serait florissant. Les bases sont ainsi solides pour le logement en vue du rétablissement de l’économie. Il reste à voir le temps qu’il faudra pour ce rétablissement, ce qui dépendra de l’évolution du virus et de l’apparition ou non d’une deuxième vague à la fin de l’automne.
Les taux d’intérêt ont chuté. Grâce à la baisse de 150 points de base du taux préférentiel, les taux hypothécaires variables ont été réduits pour la première fois depuis la fin de 2018. Une fois que la Banque a réussi à assurer une liquidité suffisante pour les marchés financiers, même les taux hypothécaires fixes ont baissé.
Le taux hypothécaire affiché semble être bloqué à 5,04 %, bien au-dessus des taux contractuels. Avec un peu de chance toutefois, ce taux, qui est utilisé dans les tests de résistance hypothécaire, descendra dans les mois à venir. La Banque du Canada reste extrêmement accommodante. À mon avis, les taux d’intérêt n’augmenteront pas avant 2022.
Il y aura des gagnants
Déjà maintenant, il y a des entreprises qui bénéficient d’une hausse de revenus et de bénéfices. Pour discerner un côté positif de cette période de bouleversements, j’ai dressé une liste d’entreprises qui ont connu un bel essor. Au sommet figure Shopify, une entreprise canadienne qui aide les entreprises à fournir des services de magasinage en ligne. Elle est maintenant l’entreprise ayant la plus forte valeur en bourse au Canada, surpassant la Banque Royale.
De nombreux réfractaires aux achats en ligne s’y sont convertis pendant le confinement. Amazon en profite aussi, mais il lui faudrait davantage de concurrence, et de nombreux Canadiens seraient heureux que des rivaux nationaux émergent.
Loblaws, avec ses épiceries et ses pharmacies, est florissante. C’est le cas également de fabricants de produits de nettoyage comme Clorox et de produits de papier comme Kimberly Clark. Le confinement a stimulé les ventes de Wayfair, qui vend en ligne des meubles et des produits pour la maison. À l’heure où les gymnases et clubs santé sont fermés, les adeptes de la mise en forme cherchent des solutions de rechange, et des entreprises comme Peloton et autres fournisseurs de matériel d’exercice ont vu leurs revenus grimper.
La demande de services d’infonuagique a gonflé le chiffre d’affaires de Microsoft et de Dropbox. Le divertissement à domicile a la cote, ce dont profitent Netflix et YouTube. Zoom et Cisco (Webex) se portent très bien. Qualcomm tirera parti d’un passage accéléré au 5G. Accenture et Booz Allen, entre autres consultants auprès des entreprises et des gouvernements, redoublent d’efforts pour aider les uns et les autres à réinventer leurs opérations dans l’après-pandémie.
Lorsque règnent l’incertitude et la volatilité, les gens ont besoin de conseils et de coups de main d’experts, en particulier pour ce qui concerne leurs finances. Voilà où les professionnels hypothécaires viennent bien à point, au même titre que les planificateurs financiers, les courtiers immobiliers, les comptables et les fiscalistes.