Baisses records des inscriptions et des ventes résidentielles au Canada en avril
Le confinement dû à la pandémie a plongé tous les secteurs de l’économie dans un coma artificiel. Le secteur du logement ne fait pas exception. Selon les données publiées aujourd’hui par l’Association canadienne de l’immeuble (ACI), les ventes résidentielles nationales ont connu une chute record en avril, premier mois complet de confinement pour cause de COVID-19. Elles ont baissé de 56,8 % par rapport aux données de mars, qui étaient déjà affaiblies. Les transactions ont diminué partout au pays.
Sur les grands marchés canadiens, les ventes ont reculé de 66,2 % dans le Grand Toronto, de 64,4 % à Montréal, de 57,9 % dans le Grand Vancouver, de 54,8 % dans la vallée du Fraser, de 53,1 % à Calgary, de 46,6 % à Edmonton, de 42 % à Winnipeg, de 59,8 % à Hamilton-Burlington et de 51,5 % à Ottawa.
L’industrie de l’immobilier résidentiel ne reste pas inactive pour autant. L’innovation technologique crée de nouvelles façons d’acheter et de vendre des maisons. D’après Shaun Cathcart, économiste principal de l’ACI : « On décèle des signes de reprise dans les premiers chiffres de mai, tant au niveau des ventes que des inscriptions, ce qui porte à croire que les technologies virtuelles nouvelles et existantes ont été adoptées par nos membres et leurs clients. Ces outils ont permis de poursuivre plusieurs activités essentielles de façon sécuritaire. Elles demeureront vraisemblablement indispensables pendant un certain temps. »
J’ai entendu des agents discuter d’un logiciel qui présente les propriétés aux acheteurs potentiels en leur permettant de voir les possibilités avec ou sans rénovations, et de choisir des options en matière de décor et d’aménagement. Avec le logiciel, il n’est plus nécessaire de procéder à une coûteuse mise en valeur matérielle, et il est possible d’être beaucoup plus créatif. C’est dire que quand il y a une difficulté, il y a une occasion d’imaginer une solution qui représente un progrès. Ceux qui créent et qui adoptent des innovations virtuelles apportant une telle solution pourraient gagner gros.
La pression sur les prix est restée modérée du fait que le nombre de nouvelles inscriptions était en baisse de 55,7 % en avril par rapport à mars. L’Indice des prix des propriétés MLS® (IPP MLS®) global et composé a diminué d’à peine 0,6 % le mois dernier. C’était la première baisse depuis mai dernier. Une certaine pression à la baisse des prix n’est pas étonnante. Le recul relativement modeste indique que l’activité est en suspens aussi bien chez les acheteurs que chez les vendeurs.
Baisse à prévoir du taux hypothécaire de référence
Le taux utilisé pour déterminer l’admissibilité d’un emprunteur hypothécaire, fondé sur le taux affiché par les grandes banques, est à plus de 5 % depuis que le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a instauré le test de résistance le 1er janvier 2018. Malgré la baisse radicale du rendement des obligations du gouvernement du Canada, qui tourne actuellement près d’à peine 0,388 %, et la chute des taux hypothécaires contractuels, les banques ont maintenu leurs taux affichés à un niveau élevé. Le taux du test de résistance hypothécaire a débuté en 2018 à 5,34 %, a fini par baisser à 5,19 %, puis plus récemment à 5,04 %, restant bien au-dessus des taux du marché.
Dans la dernière semaine, les banques RBC et BMO ont encore réduit leurs taux affiché sur cinq ans, à 4,94 %. Si aucune autre banque n’emboîte le pas, le taux de la Banque du Canada pour le test du BSIF baissera à 4,99 %. Si une autre banque passe à 4,94 %, le taux du test baissera à 4,94 %. Ce sera toujours autant de gagné.
Dès qu’est apparue la menace de pandémie de COVID-19, le rapport de la Banque du Canada signalait que « l’incertitude concernant la gravité éventuelle de la situation a provoqué une onde de choc sur les marchés financiers, ce qui a causé une ruée généralisée vers la liquidité et rendu difficile la vente d’actifs. Les mesures prises par les autorités publiques contribuent à :
restaurer le fonctionnement des marchés;
s’assurer que les institutions financières disposent de suffisamment de liquidités;
donner aux entreprises et aux ménages canadiens accès au crédit dont ils ont besoin. »
Les mesures prises par la Banque du Canada ont permis de soutenir l’économie. De concert avec les initiatives de dépenses gouvernementales et le programme de report des versements hypothécaires, elles ont amorti le choc pour les ménages et les entreprises. De déclarer le gouverneur Stephen Poloz : « Notre objectif à court terme est d’aider les ménages et les entreprises du pays à traverser cette période. Notre objectif à long terme est de jeter des bases solides pour une reprise de l’emploi et de la croissance. »
Alors que les perspectives économiques restent extrêmement incertaines, la Banque du Canada a préféré pécher par excès de prudence en prévoyant des arriérés hypothécaires et des prêts improductifs aux entreprises en fonction du scénario économique le plus sombre présenté dans le numéro d’avril de son Rapport sur la politique monétaire. Selon le point de vue pessimiste, malgré les mesures exceptionnelles prises par les instances publiques, les arriérés sur les prêts hypothécaires et sur les prêts aux entreprises éclipseront les sommets précédents. Selon un point de vue plus optimiste, le soutien public a évité un résultat encore bien pire, et un système financier résilient parviendra à absorber les pertes en préservant les bases d’une relance de l’économie. Comme le gouverneur Poloz l’a soutenu, un scénario économique plus favorable reste possible, étant entendu que de nombreuses provinces commencent à déconfiner graduellement leur économie.
Les projections figurant dans la RSF d’aujourd’hui sont fondées sur un scénario où le PIB canadien est 30 % plus faible au deuxième trimestre, puis se rétablit lentement par la suite. Dans ce scénario, les arriérés hypothécaires augmenteraient jusqu’à 0,8 % d’ici la mi-2021 contre 0,25 % à la fin de 2019. Ce serait presque le double du sommet des arriérés constaté en 2009. Entre-temps, les prêts improductifs aux entreprises atteindraient 6,4 % à la fin de l’année contre 1 % à la fin de l’année passée. Ce serait sensiblement plus que les sommets antérieurs, inférieurs à 5 %, de 2003 et 2010.
Ce qu’il faut retenir est que même si nous risquons de voir une forte augmentation des arriérés hypothécaires et des prêts problématiques dans les deux prochaines années selon le scénario économique pessimiste, les résultats auraient été bien plus graves sans les programmes d’exception mis en place pour soutenir les entreprises et les ménages. Les implications sont importantes pour le secteur bancaire. Selon l’analyse de la Banque du Canada, avec ces mesures gouvernementales, les réserves de fonds propres des grandes banques devraient suffire à absorber les pertes. Sans ces interventions, « les banques se porteraient beaucoup moins bien, ce qui entraînerait des effets négatifs notables sur l’offre de crédit aux ménages et aux entreprises ».
Ménages
1 ménage sur 5 n’a pas assez de comptant ou d’actifs liquides pour couvrir deux mois de versements hypothécaires.
Les programmes de soutien gouvernemental (PCU et subvention salariale d’urgence) couvriront une bonne part des dépenses de base des ménages (alimentation, logement et télécommunications).
Le report de versements de prêts (les banques ont autorisé plus de 700 000 ménages à reporter leurs versements hypothécaires) et de nouveaux emprunts peuvent aider à compenser des baisses de revenu.
Il reste que certains ménages accuseront sans doute des retards dans leurs remboursements de dettes (d’abord les cartes de crédit et les prêts automobiles, puis les prêts hypothécaires). C’est ce qui se voit déjà en Alberta et en Saskatchewan.
Entreprises
Il y a eu certains signes d’une réduction des difficultés financières en avril. Le recours au programme des acceptations bancaires de la Banque du Canada est en baisse, l’utilisation des marges de crédit a ralenti et certains emprunteurs effectuent des remboursements, et l’émission d’obligations de sociétés a augmenté sensiblement en avril, après avoir marqué un arrêt en mars.
Des sondages indiquent un taux de rejet plus élevé que la normale pour les demandes de fonds supplémentaires des petites et moyennes entreprises auprès des institutions financières.
Pour la période à venir, les besoins de refinancement des entreprises correspondent aux niveaux récents. Cependant, de nombreux emprunteurs devront composer avec une augmentation du coût des fonds en raison d’une majoration des primes de risque.
Presque trois quarts des obligations de qualité de sociétés ont maintenant une cote de BBB (la plus faible). Si elles étaient déclassées, la valeur des obligations à rendement élevé doublerait, ce qui augmenterait sensiblement les coûts de financement de ces emprunteurs.
Les entreprises des secteurs les plus touchés par la COVID-19 ont souvent peu de réserves de liquidités. Avec une chute des revenus, il leur sera difficile de payer les coûts fixes, y compris les remboursements de dettes. Ce qui était au départ un problème de trésorerie pourrait devenir un problème de solvabilité pour certaines entreprises.
Les entreprises du secteur de l’énergie font face à des difficultés particulières : elles ont dû puiser davantage dans des marges de crédit, elles ont les plus grands besoins de refinancement au cours des six prochains mois et elles risquent le plus d’être déclassées.
Banques
Les opérations de pension à terme de la Banque du Canada ont apporté une ample liquidité au système bancaire et réduit les coûts de financement. En conséquence, les taux hypothécaires affichés et contractuels de certaines banques ont été réduits.
Le succès des opérations de pension a terme a faibli ces dernières semaines, une indication que le fonctionnement des marchés s’est amélioré.
Les organismes de réglementation ont allégé les exigences en matière de fonds propres et de liquidités.
Administrations publiques
Les achats d’actifs par la Banque du Canada ont aidé à améliorer la liquidité sur l’important marché des titres du gouvernement du Canada (la référence pour de nombreux autres marchés obligataires).
La RSF ne s’est pas attardé sur la viabilité de la dette publique. En conférence de presse toutefois, le gouverneur Poloz a noté que le niveau d’endettement public global est semblable à ce qu’il était il y a 20 ans, et la dette fédérale est sensiblement inférieure. Le gouvernement fédéral dispose donc d’une bonne marge de manœuvre.
En somme
Évidemment, le confinement dû à la COVID-19 a mis à rude épreuve les ressources financières de nombreux ménages et entreprises. Tel était le prix à payer pour atténuer la grave menace pour la santé et endiguer sa propagation. Le rapport de la Banque du Canada reconnaît les répercussions économiques des mesures qu’il a fallu prendre, et elle promet d’en prendre encore pour s’assurer que l’économie revienne à son plein potentiel de croissance aussitôt que possible. Il s’agit d’amortir le choc pour les plus démunis.
Il n’empêche que des entreprises fermeront définitivement leurs portes, alors que d’autres absorberont des concurrents en difficulté. Certains profiteront des nouvelles possibilités créées par la distanciation sociale, les mesures sanitaires, le télétravail, de nouvelles formes de divertissement et des progrès dans les soins de santé. D’autres succomberont sans doute, bien que ce sera souvent des entreprises qui étaient déjà à l’agonie avant la pandémie. La destruction créatrice est toujours douloureuse pour les perdants, mais elle ouvre la voie à de nombreux nouveaux gagnants, des entreprises et des particuliers qui sont suffisamment créatifs pour s’adapter rapidement à un nouvel environnement.