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25 Sep

Un discours du Trône très ambitieux

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Publié par: Robert Perrier

Discours du Trône : La réponse du Canada à la COVID-19

Avec la prorogation du Parlement le 18 août, après la démission du ministre des Finances Bill Morneau, puis l’ouverture d’une nouvelle session parlementaire, le discours du Trône était pour le gouvernement l’occasion de prendre un nouveau départ. Et pour le premier ministre Justin Trudeau, c’était l’occasion de tourner la page après un été de polémiques autour de l’organisme UNIS et du programme de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant.

LA SITUATION FINANCIÈRE
Il n’y a guère eu d’opposition plus tôt cette année quand le gouvernement fédéral a déployé un filet de sécurité pour pratiquement tous les secteurs de l’économie, avec des prestations d’urgence, des subventions salariales et d’autres programmes. Mais aujourd’hui, alors que le déficit fédéral frôle les 400 milliards de dollars, des voix s’élèvent pour demander de modérer les nouvelles dépenses.

La nouvelle ministre des Finances, Christia Freeland, a consulté l’ancien premier ministre Paul Martin, qui avait effacé les déficits quand il était lui-même ministre des Finances il y a plus de 20 ans. Elle a affirmé cette semaine être très sensible aux préoccupations au sujet des dépenses fédérales et de l’équilibre budgétaire, mais elle a aussi déclaré que la priorité était d’assurer le retour au travail d’un plus grand nombre de Canadiens, en même temps que de gérer toute deuxième vague de la COVID-19.

« La politique économique la plus importante de notre gouvernement et la meilleure chose que nous puissions faire pour notre économie est de contenir le coronavirus, a dit Mme Freeland. Je ne saurais trop insister là-dessus. Certains parlent parfois d’un arbitrage à faire entre politique sur la santé et politique économique. Je ne suis absolument pas d’accord. »

Le discours du Trône d’aujourd’hui était un des plus attendus depuis longtemps, à l’heure où la reprise économique ralentit et où le nombre de cas de COVID augmente. Il ne s’agit pas d’un plan économique, mais il précise la vision d’Ottawa quant aux politiques considérées comme nécessaires pour faire passer le pays à l’étape suivante de la relance.

Des mesures avaient déjà été signalées, comme une amélioration du soutien aux sans-emploi – à la suite des politiques d’aide exceptionnelles du printemps et de l’été. Pour une estimation des coûts, il faudra attendre une mise à jour économique à l’automne et un budget ultérieur.

LE NOMBRE DE CAS DE COVID-19 GRIMPE ALORS QUE LA REPRISE ÉCONOMIQUE RALENTIT
La semaine dernière, une série de rapports confirmaient que l’activité économique au Canada a profité cet été d’une reprise qui sera sans doute d’une ampleur historique, mais ne sera pourtant que partielle. Les reventes de maisons ont encore fortement augmenté en août. Selon les données de juillet sur les secteurs du commerce de détail, du commerce de gros et de la fabrication, le PIB était en voie de remonter de 40 % (taux annualisé) au troisième trimestre. Mais cela ne permettrait de récupérer qu’environ 57 % du déclin du premier semestre. Et des données préliminaires – y compris celles de la Banque Royale sur les achats par carte de crédit – continuent d’annoncer un ralentissement de la reprise.

Entre-temps, le nombre de cas d’infections au virus sont de nouveau surveillés de près au Canada. Les taux d’infection ont augmenté ces dernières semaines en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta. Cette nouvelle montée d’infections a été plutôt concentrée parmi des groupes d’âge moins vulnérables, faisant qu’elles ont nécessité moins d’hospitalisations. Il reste que l’allègement des restrictions a été suspendu, voire inversé dans certains endroits. À tout le moins, l’augmentation de la propagation vient rappeler qu’il y a des limites à la mesure dans laquelle l’économie peut se rétablir tant que persiste la menace du virus.

Dans le discours du Trône, on prévoyait que la gouverneure générale énoncerait la vision du gouvernement pour la reprise d’après la pandémie. Ce ne sera pas facile. Les cas de COVID-19 sont en hausse et la confiance des investisseurs est vacillante. L’économie va mieux qu’au plus bas en avril, mais la relance reste fragile – surtout face à une possible deuxième vague. Où est-ce que le gouvernement devrait investir? S’il survit au vote de confiance, que sera son prochain budget?

Le premier ministre Trudeau a insisté qu’il ne souhaite pas une campagne électorale hâtive – mais y serait prêt au besoin. « Je crois qu’il serait irresponsable de dire qu’une élection serait irresponsable, a-t-il dit aux journalistes. Notre pays et nos institutions sont assez fortes, et s’il doit y avoir une élection, nous nous arrangerons. »

Il conclut toutefois : « Je ne crois pas que c’est ce que souhaitent les Canadiens. Je ne crois pas que c’est ce que souhaitent les partis d’opposition et ce n’est certainement pas ce que souhaite le gouvernement. »

UNE QUESTION DE CONFIANCE
Quelles que soient les précisions ou les données financières dans le discours du Trône, la confiance envers le gouvernement Trudeau sera mise à l’épreuve. Il lui manque 15 voix pour avoir la majorité à la Chambre des communes.

À moins qu’un des principaux partis d’opposition ne l’appuie, il y aura probablement une élection. Il n’est pas clair que les chefs de l’opposition soient prêts à en provoquer une.

Le chef du NPD Jagmeet Singh veut que le gouvernement prolonge la Prestation canadienne d’urgence en attendant la réforme du régime d’assurance-emploi. Il demande aussi un engagement ferme à étendre l’accès à des congés de maladie payés.

Il a dit à la chaîne CPAC qu’il n’a entendu aucun engagement précis de la part du premier ministre Trudeau, quand celui-ci a pris la parole la semaine passée. Il restera toutefois attentif aux signaux du gouvernement, non seulement dans le discours du Trône, mais dans les débats et dans les mesures législatives qui suivront.

Quant au nouveau chef conservateur Erin O’Toole, qui a récemment reçu un diagnostic positif à la COVID-19, il attend de voir : « Si le plan apporte un mieux pour le pays, nous appuierons des parties de ce plan. Sinon, nous présenterons notre propre vision. »

Le Bloc Québécois a menacé de tenter de forcer la tenue d’une élection dans le cadre de l’affaire UNIS, à moins que le premier ministre Trudeau ne démissionne. Le parti demande aussi une augmentation des transferts aux provinces en matière de santé, un soutien accru pour les aînés, le respect des compétences du Québec et un soutien pour les agriculteurs assujettis à la gestion de l’offre.

Cependant, son chef ne sera pas au Parlement à la reprise des travaux de la Chambre des communes. Yves-François Blanchet a été déclaré positif à la COVID-19. Mardi, il a annoncé sur Twitter que lui et Erin O’Toole attendraient la fin de leurs périodes d’isolement pour communiquer leur réponse officielle au discours du Trône.

MESURES COMPRISES DANS LE DISCOURS DU TRÔNE
Vaincre la pandémie est le thème clé du discours. La COVID-19 a été incroyablement éprouvante pour les parents, surtout les femmes, pour les jeunes, les adultes plus âgés, les Noirs et les Canadiens racialisés. Les travailleurs à faible revenu ont été touchés le plus durement.

Lutter contre la pandémie et sauver des vies

  • Un dépistage plus rapide, des ordres de fermeture à court terme là où il y a un grand nombre de cas
  • Aider les entreprises dans ces régions
  • Des fonds supplémentaires pour l’équipement de protection individuel
  • Des fonds supplémentaires pour assurer la sécurité des écoles
  • Une stratégie en matière de vaccins
  • Un groupe de travail sur les vaccins, dirigé par des scientifiques

Soutenir les Canadiens durant cette crise

  • Prolongation de la Subvention salariale d’urgence
  • Soutien face aux pertes d’emploi
  • Création d’emplois, aide à la formation, stratégie sur l’emploi des jeunes
  • Bénéficiaires de la PCU maintenant soutenus par le régime de l’AE – élargi pour inclure les travailleurs autonomes et travailleurs à la demande
  • Plan d’action pour les femmes – services de garde d’enfants, création d’un réseau pancanadien d’éducation préscolaire, programmes parascolaires, soutien aux femmes en entrepreneuriat
  • Aide aux petites entreprises
  • Amélioration du crédit aux entreprises, aide aux secteurs les plus durement touchés

Rebâtir en mieux afin de créer un Canada plus résilient

  • Plan responsable de stimulation et de relance
  • Réduction des inégalités des revenus en augmentant l’imposition des options d’achat d’actions
  • Augmentation des taxes pour les géants du numérique qui font affaire au Canada
  • Préservation de la force de la classe moyenne
  • Lutte contre les changements climatiques et engagement en faveur d’une croissance durable
  • Aide aux résidences de soins de longue durée, nouvelles normes de soins
  • Augmentation de la Sécurité de la vieillesse à 75 ans
  • Médecins de premier recours dans toutes les régions
  • Augmentation des ressources en santé mentale
  • Régime national universel d’assurance-médicaments
  • Télémédecine
  • Limitation des armes à feu
  • Plan d’action national contre la violence sexiste
  • Augmentation du logement abordable
  • Accès à Internet haute vitesse pour tous les Canadiens
  • Services aériens régionaux abordables
  • Élimination de l’itinérance chronique
  • Amélioration de l’Incitatif à l’achat d’une première propriété
  • Mesures contre l’insécurité alimentaire et pour renforcer les chaînes d’approvisionnement alimentaire; protéger les travailleurs du secteur alimentaire
  • Appui aux agriculteurs
  • Mise en place des plus vastes programmes de formation, d’éducation et d’accréditation de l’histoire du Canada
  • Création de bons emplois dans les secteurs de l’action climatique
  • Surpasser les objectifs climatiques de 2030 du Canada
  • Augmenter les options en matière de transport en commun; de véhicules zéro émission, de batteries et de stations de recharge
  • Réduire de moitié le taux d’imposition des sociétés pour les entreprises de technologie propre
  • Soutenir les entreprises des secteurs des ressources naturelles et du pétrole dans leur transition vers le zéro émission et des objectifs en matière d’énergie propre
  • Interdire les plastiques à usage unique nocifs l’an prochain
  • Plans en matière d’eau propre et d’irrigation

Être fidèle à qui nous sommes en tant que Canadiens – accueillants et luttant contre la discrimination

  • Nous prenons soin les uns des autres, nous accueillons les nouveaux arrivants, nous célébrons deux langues officielles
  • Nous luttons contre le racisme systémique
  • Nous aidons les Autochtones – Premières Nations, Inuits et Métis
  • Nous agissons face à la haine en ligne, nous appuyons l’emploi de Noirs et de personnes racialisées
  • Réforme du système de justice pénale et de l’application de la loi
  • Nous encourageons l’immigration et la réunification des familles
  • Nous investirons davantage dans les économies en développement
  • Nous appuyons les droits de la personne, ramenons au pays les Canadiens détenus à l’étranger

EN SOMME
Il s’agit là d’un programme ambitieux. Bon nombre de ses éléments sont de vastes engagements. Les détails sur les dépenses viendront plus tard, probablement dans une mise à jour économique, en novembre ou décembre.

Le discours n’annonce pas la prolongation de la PCU, alors que le NPD disait que c’était nécessaire à son appui. Le NPD demandait aussi des congés de maladie payés, ce qui n’a pas été mentionné.

Immédiatement après le discours, la réaction initiale des conservateurs était qu’ils ne pourraient pas appuyer cette proposition. Entre autres, ils ont critiqué le fait qu’il n’y a pas de cadre de référence ou de limites, sur le plan des finances, pour éviter que la cote de crédit du Canada ne soit encore baissée. Selon la leader adjointe Candice Bergen, les conservateurs n’appuieront pas un discours du Trône truffé de « mots à la mode » et de « gestes grandioses » qui ne dit rien sur les difficultés du secteur de l’énergie, des agriculteurs, des chômeurs et des propriétaires de petites entreprises.

Les jeux politiques ne font que commencer.

Dans la prochaine semaine, le discours du Trône fera l’objet d’un débat, et le gouvernement pourra y apporter des changements.

Dre Sherry Cooper
Économiste en chef, Centres hypothécaires Dominion

drcooper@dominionlending.ca