Déclaration préliminaire devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes
Aucun de nous n’a d’expérience face à une urgence médicale qui est devenue une crise économique. Et aucun de nous ne sait combien ceci durera ni comment cela se terminera. Je crois que nous pouvons tous nous entendre pour dire qu’il s’agit d’un dilemme à nul autre pareil, enrobé d’une profonde incertitude.
La théorie économique et la modélisation économétrique ne fournissent pas de feuille de route précise. Au contraire de récessions précédentes à l’issue d’une guerre, celle d’aujourd’hui n’est pas un choc endogène déclenché par d’énormes déséquilibres.
Évidemment, les considérations médicales devraient l’emporter sur les économiques. Le rôle des responsables des politiques est d’atténuer les fardeaux financiers occasionnés par les mesures qu’il convient de prendre sur le plan médical.
Comment devrions-nous aborder les mois à venir? À mon avis, ce sont d’abord les experts médicaux qui doivent répondre à cette question. Pour évaluer les prochaines étapes sous l’angle de la politique économique, le gouvernement devrait expliquer son point de vue sur la probabilité d’un vaccin et d’antiviraux sur un horizon de six mois, un an et trois ans.
Selon une évaluation lucide des perspectives de croissance au Canada, le deuxième trimestre pourrait être le creux de la vague, mais l’économie ne reviendra que lentement au plein emploi. Ceux qui sont le plus durement touchés seront ceux qui peuvent le moins se permettre de rester sans emploi. Les petites entreprises, qui représentent plus de 40 % des emplois dans le secteur privé, ont subi un coup dur et, dans de nombreux cas, peut-être un coup fatal. Certains des emplois perdus sont perdus à jamais.
Il faut espérer que les mesures successives de stimulation prises par le gouvernement et la Banque du Canada renforceront l’économie et déclencheront une relance de l’embauche.
Le risque, toutefois, est que la pandémie provoque un « choc de redistribution »[1] faisant que certaines entreprises et même des secteurs entiers subiront des dommages durables. Le risque est que les emplois perdus dans ces secteurs ne reviennent pas, et que le chômage reste élevé. Des mesures de stimulation traditionnelles ne suffisent pas face à ce genre de choc.
On estime que 30 % des pertes d’emploi, de février à mai, pourraient être attribuables à ce choc de redistribution irréversible. Le marché du travail récupérera rapidement dans un premier temps, comme l’ont montré les données de mai, mais plafonnera ensuite en laissant de trop nombreux travailleurs sans emploi.
Les travailleurs du secteur de l’hébergement et de la restauration sont parmi les plus exposés, avec ceux des secteurs du commerce de détail non essentiel, des loisirs, du voyage et de l’éducation. La plupart d’entre eux ne peuvent pas travailler à partir de chez eux.
Dans de nombreux cas, la pandémie a augmenté les difficultés pour les entreprises traditionnelles face aux plateformes de cybercommerce comme Amazon. Elle a accentué une crise préexistante, dans laquelle les entreprises canadiennes ont lamentablement échoué à relever le défi.
Le choc exceptionnel du virus signifie que les gouvernements pourraient avoir à en faire davantage pour soutenir les entreprises et protéger les travailleurs que dans une récession typique. Ils ont ainsi à mettre au point des politiques qui aident les entreprises désargentées – mais par ailleurs viables – à survivre, et les travailleurs écartés à trouver des emplois différents. Cependant, ils doivent aussi, idéalement, éviter de soutenir artificiellement des entreprises qui ne sont plus viables. Nous avons déjà vu des indices[2] que des prestations de chômage généreuses pour la COVID peuvent encourager des mises à pied, dissuader le travail et retarder une réaffectation productive.
Nous devons savoir quelle proportion des pertes d’emploi au Canada viennent du confinement et de la demande affaiblie. Ces pertes d’emploi se résorberont rapidement grâce aux mesures de relance, lors de la réouverture. Pour la proportion attribuable aux prestations de chômage généreuses qui encouragent les travailleurs à rester chez eux, il s’agit de réduire graduellement les mesures de soutien du revenu. Le groupe de chômeurs qui pose le problème le plus difficile est celui qui subit les retombées irréversibles du choc de redistribution.
Pour ces derniers, le gouvernement devrait prévoir la formation voulue pour préparer les travailleurs à la phase suivante de la révolution technologique.
La pandémie a accéléré des changements structuraux qui continueront de jouer. Une réponse efficace à ces changements exige – entre autres – un accès général à des services à large bande par ordinateur pour tous les ménages, une réduction des restrictions gouvernementales à l’utilisation des terres, la suppression des obstacles réglementaires à la création d’entreprises et la suppression des restrictions au commerce interprovincial.
Les problèmes étaient présents avant le virus, mais ils sont maintenant exposés, et ils appellent à un nouveau contrat social entre les gouvernements et les citoyens.
[1] Working Paper No. 2020-59, « COVID-19 Is Also a Reallocation Shock, Jose Maria Barrero », Nick Bloom et Steven J. Davis (5 mai 2020), https://bfi.uchicago.edu/wp-content/uploads/BFI_WP_202059.pdf. [Traduction] « … La possibilité que les préoccupations des clients (et du personnel) au sujet de la transmission de maladies infectieuses transforment les modèles de commerce de détail, l’aménagement des restaurants et la prestation de nombreux services médicaux, professionnels, personnels et commerciaux fait que les conséquences redistributives de la pandémie de COVID-19 continueront de se faire sentir pendant de nombreux mois et années (p. 18). »
[2]Ibid., p. 20 [Traduction] « “Quand Equinox a dû commencer à mettre à pied des employés à sa chaîne de centres d’entraînement haut de gamme, le président exécutif Harvey Spevak a adressé un message étonnant aux intéressés : ‘Nous croyons que la plupart s’en tireront mieux en recevant l’aide gouvernementale pendant notre fermeture.’” Ce passage est de Thomas et Cutter (2020), qui disent aussi ceci : “Equinox rejoint de nombreuses entreprises, y compris Macy’s … et [le fabricant de mobilier] Steelcase … qui évoquent les prestations de chômage bonifiées du gouvernement lorsqu’ils mettent à pied ou licencient du personnel face à la pandémie du coronavirus. Les mesures de stimulation changent la donne pour certains employeurs, qui peuvent maintenant réduire les coûts en personnel sans sentir qu’ils abandonnent leurs employés.” »