La Fed sort les gros canons
La Réserve fédérale américaine frappe un grand coup. Avant même sa réunion régulière du 18 mars, elle a réduit son taux cible des fonds à un jour de 50 points de base d’un coup, dans la fourchette de 1 % à 1,25 %. Il est maintenant franchement sous le taux cible de 1,75 % de la Banque du Canada. Quand celle-ci tiendra sa réunion demain, elle pourrait être contrainte de décréter une baisse à son tour, peut-être aussi de 50 points de base.
La Fed n’a pas réduit ses taux en dehors de son cycle normal de réunions depuis le 8 octobre 2008, quand l’effondrement de Lehman Brothers avait secoué les marchés financiers. Cette façon de faire est donc rare, quoique pas inédite.
La Banque du Canada est tiraillée. Une réduction de taux si importante stimulerait l’emprunt des ménages et le marché du logement, que la Banque juge suffisamment robuste.
Le Federal Open Market Committee (FOMC, le groupe d’élaboration des politiques de la Fed) s’est expliqué par voie de déclaration : « Les bases de l’économie américaine restent solides. Cependant, le coronavirus pose de nouveaux risques pour l’activité économique. À la lumière de ces risques, pour soutenir ses objectifs d’un emploi maximum et d’une stabilité des prix, le FOMC a décidé aujourd’hui de réduire la fourchette cible du taux des fonds fédéraux d’un demi-point de pourcentage, le situant entre 1 % et 1,25 %. Le FOMC surveille étroitement les développements et leurs implications pour les perspectives économiques. Il utilisera ses outils et agira de façon à soutenir l’économie. »
Le président de la Fed Jerome Powell a donné une conférence de presse à 11 h (heure de l’Est), affirmant que la propagation du virus pose un risque pour l’économie, que la situation continue d’évoluer et qu’elle exige une action immédiate. Le FOMC a estimé que le risque s’était aggravé. La Fed a agi unilatéralement, par opposition à l’action coordonnée des banques centrales en réponse à la crise financière de 2008.
Cependant, la Fed est en discussion avec d’autres banques centrales, et la Banque centrale européenne a indiqué aujourd’hui qu’elle prendra toute mesure nécessaire. Les banques centrales de la zone euro et du Japon ont moins de marge de manœuvre, ayant déjà des taux négatifs.
Selon les propos tenus aujourd’hui par son gouverneur Mark Carney, la Banque d’Angleterre agira face au choc du virus. M. Carney a évoqué la complexité de la gestion du traumatisme pour les banques centrales. Celles-ci doivent déterminer si les répercussions touchent la demande – auquel cas les banques centrales ont davantage de capacité d’action – ou l’offre – auquel cas il leur est plus difficile d’agir.
Les responsables des finances et des banques centrales du G-7 ont prévu une rare conférence téléphonique aujourd’hui.
Comme les tensions électorales montent aux États-Unis – c’est le Super mardi aujourd’hui, il est facile d’imaginer que la décision de la Fed est autant politique qu’économique. Elle survient alors que le président Trump fait publiquement pression en faveur d’une réduction des taux. Même après la réduction radicale d’aujourd’hui, le président voudrait aller plus loin. Dans un gazouillis, il a réclamé que la Fed augmente encore l’assouplissement et, surtout, s’harmonise avec les autres pays concurrents. Il affirme qu’actuellement, les règles du jeu ne sont pas équitables pour les États-Unis.
Politiser la Fed est dangereux et mine la crédibilité mondiale de la banque centrale américaine.
Les marchés boursiers mondiaux ont déjà effacé une partie des pertes encourues aujourd’hui. Les bourses américaines ont entamé la journée sur un important délestage, après avoir enregistré une hausse la veille. Les rendements obligataires ont continué de décliner.
En somme pour le Canada : Le rendement des obligations du gouvernement du Canada sur 5 ans a baissé fortement aujourd’hui. Il se situait à 0,925 % et restait en baisse au moment d’écrire ces lignes. Avant l’annonce de la Fed, il était à 1,04 %. La Banque du Canada réduira probablement ses taux à un jour demain, pour la première fois depuis octobre 2018. Mais de combien? Je dirais de 25 points de base, sachant que le gouverneur Stephen Poloz s’inquiète de l’endettement des ménages. |