Le Canada perd plus de 1 million d’emplois en mars
L’emploi s’est effondré au Canada en mars. Plus de 1 million d’emplois ont été perdus, effaçant en un mois le nombre créé en trois ans. La statistique illustre les ravages que la pandémie de coronavirus a infligés à l’économie. Proportionnellement, le Canada a perdu davantage d’emplois que les États-Unis. La chute exceptionnelle était prévisible dès que les autorités canadiennes ont annoncé que sur un mois, 5 millions de travailleurs, soit environ 20 % de la population active, avaient demandé une prestation d’urgence de soutien du revenu. Il faut y voir une conséquence de la mise en œuvre relativement rapide de vastes mesures de distanciation sociale au Canada.
La hausse marquée du chômage a initialement pris de court les responsables des politiques. Ils ont régi en prévoyant des subventions salariales destinées à éviter des mises à pied massives. Environ 70 % des fonds consacrés directement à la relance visent maintenant à préserver la paie des travailleurs.
Le solde net de nouveaux emplois a plongé de 1,01 million par rapport à février, ce qui est la plus forte baisse depuis 1976, selon ce qu’en disait Statistique Canada jeudi à Ottawa. Le taux de chômage a bondi, passant de 5,6 % en février à 7,8 % en mars.
Le nombre réel d’heures travaillé a baissé de 14 % par rapport à un an plus tôt et de 15 % par rapport au mois précédent. Voilà encore deux nouveaux records.
Les données de l’Enquête sur la population active (EPA) de mars révèlent la situation du marché du travail la semaine du 15 au 21 mars. À ce moment, une séquence d’interventions gouvernementales inusitées provoquées par la COVID-19 – y compris la fermeture des entreprises non essentielles, l’imposition de restrictions aux voyages et les mesures de santé publique exigeant que les Canadiens limitent les interactions en public – avaient été mises en place. Elles ont entraîné un ralentissement radical de l’activité économique et un choc soudain pour le marché du travail canadien. Les données d’aujourd’hui ne sont peut-être qu’un avant-goût. Des jours encore plus sombres sont à prévoir alors que l’économie semble partie pour son plus grand affaissement depuis la Grande Dépression.
Les chiffres sont désastreux, et pourtant Statistique Canada affirme qu’ils ne mesurent pas pleinement l’ampleur et l’étendue des répercussions de la COVID-19 sur les travailleurs et les entreprises du pays. Il faudra encore prendre en compte le nombre de Canadiens qui ont conservé leur emploi mais en travaillant moins d’heures, et le nombre de personnes qui n’ont pas cherché de travail vu les fermetures d’entreprises. Parmi ceux qui avaient un emploi en mars, le nombre qui n’a travaillé aucune heure dans la semaine de référence (15 au 21 mars) a augmenté de 1,3 million, et le nombre qui a travaillé moins de la moitié des heures habituelles a augmenté de 800 000. Ces augmentations dans les absences du travail peuvent être attribuées à la COVID-19. Elles font que le nombre total de Canadiens touchés par une perte d’emploi ou une réduction des heures a atteint 3,1 millions.
Région par région, l’emploi a chuté dans toutes les provinces. L’Ontario (‑403 000 ou ‑5,3 %), le Québec (‑264 000 ou ‑6,0 %), la Colombie-Britannique (‑132 000 ou ‑5,2 %) et l’Alberta (‑117 000 ou ‑5,0 %) ont été le plus touchés.
Le taux de chômage a augmenté dans toutes les provinces sauf à Terre-Neuve-et-Labrador et à l’Île-du-Prince-Édouard. Les plus fortes augmentations ont été constatées au Québec (+3,6 points de pourcentage, à 8,1 %), en Colombie-Britannique (+2,2 points de pourcentage, à 7,2 %) et en Ontario (+2,1 points de pourcentage, à 7,6 %). Le tableau ci-dessous indique le taux de chômage dans chaque province.
En mars, le nombre de personnes exclues de la population active – c’est-à-dire ni employées ni au chômage – a augmenté de 644 000. Parmi elles, 219 000 avaient travaillé récemment et voulaient un emploi mais n’en ont pas cherché. Ce nombre a augmenté de 193 000 (+743 %). Comme ces personnes ne cherchaient pas un emploi et n’étaient pas en mise à pied temporaire, elles ne sont pas comptées comme étant au chômage. Ce groupe est habituellement très petit et stable, donc il est raisonnable d’attribuer entièrement l’augmentation du mois à la COVID-19.
La baisse de l’emploi en mars a été plus prononcée dans le secteur privé (‑830 200 ou ‑6,7 %) que dans le secteur public (‑144 600 ou ‑3,7 %).
Le nombre de travailleurs autonomes a relativement peu baissé en mars (‑1,2 % ou ‑35 900), ressortant pratiquement au même niveau que 12 mois plus tôt. Le nombre de travailleurs autonomes pour leur propre compte sans employés s’est accru de 1,2 % en mars (données non désaisonnalisées). La majeure partie de cette augmentation est attribuable à la hausse observée dans le secteur des soins de santé et de l’assistance sociale (+16,7 %), qui a contrebalancé les baisses enregistrées dans plusieurs autres secteurs. Au début d’un choc soudain sur le marché du travail, les travailleurs autonomes sont plus susceptibles de continuer à déclarer un attachement à leur entreprise, alors même que la conjoncture se détériore.
Le secteur des services a le plus souffert, représentant la presque totalité du déclin de 1 million d’emplois. Les plus fortes baisses ont été enregistrées dans des industries traitant avec le public ou offrant peu de possibilités de télétravail, telles que : hébergement et de restauration (‑23,9 %); information, culture et loisirs (‑13,3 %); services d’éducation (‑9,1 %); commerce de gros et de détail (‑7,2 %).
Des baisses plus modestes ont touché la plupart des autres secteurs, y compris dans les services essentiels comme les soins de santé et l’assistance sociale (‑4,0 %). L’emploi a peu changé dans la fonction publique, la construction et les services professionnels, scientifiques et techniques. Fait étonnant, l’emploi dans le domaine des ressources naturelles a augmenté malgré l’effondrement des prix pétroliers en mars.
Les femmes ont été plus susceptibles que les hommes de perdre leur emploi. Parmi le principal groupe d’âge actif, l’emploi des femmes a baissé plus de deux fois autant que l’emploi des hommes, peut-être du fait de la domination des hommes dans les métiers de la construction, considérés en mars comme du travail essentiel. Le secteur privé a subi une majorité des pertes d’emploi : 830 200.
En somme : Le graphique ci-dessous indique l’ampleur sans précédent de la chute de l’emploi le mois dernier en comparaison d’autres périodes de récession. Il est entendu que la situation actuelle n’est pas une récession typique. Elle résulte d’un arrêt de travail imposé par les gouvernements pour protéger la population de la COVID-19 et aplatir la courbe des nouveaux cas afin que le réseau de soins de santé puisse mieux réagir à l’arrivée massive de malades en phase critique. Il est encore tôt pour tirer des conclusions, mais les données indiquent que les mesures précoces et vigoureuses prises à l’échelle du Canada face à la pandémie étaient ce qu’il fallait faire. Il suffit de considérer les États-Unis, où l’arrêt des activités s’est fait à la pièce, timidement et tardivement. Le nombre de cas de COVID-19 est 22 fois plus élevé aux États-Unis qu’au Canada, alors que la population n’est que 10 fois plus importante.
Assurément, la croissance économique sera lamentable au deuxième trimestre. Les économistes de la Banque Royale viennent de publier des prévisions selon lesquelles la croissance accuserait une chute inédite de ‑32 % au deuxième trimestre, avec un taux de chômage de 14,6 %. Ils s’attendent à un rebondissement de +20 % au troisième trimestre, mais ne prévoient pas le retour du PIB canadien aux niveaux d’avant la pandémie avant 2022. Ces prévisions se fondent sur l’hypothèse que l’économie sera à l’arrêt environ 12 semaines, et que l’activité ne reviendra ensuite que graduellement à la normale.
Selon le rapport de la Banque Royale, les reventes de maisons baisseront sans doute de 20 % cette année. Les pertes d’emploi, la réduction des heures travaillées et la baisse du revenu, en même temps que les déclins du marché boursier, réduiront le nombre d’acheteurs. Les gouvernements et les banques ont adopté des politiques pour aider les propriétaires dans cette période difficile, ce qui devrait limiter les cas de ventes forcées et l’afflux de propriétés sur le marché. Pour autant, il n’est pas dit que les prix ne subiront pas des pressions baissières. Comme dans de nombreux autres secteurs, le redressement sera graduel pour le secteur du logement. Les taux d’intérêt réduits auront un effet stabilisateur, mais il faudra une relance du marché du travail et une reprise de l’immigration avant que les ventes n’accélèrent véritablement de nouveau. Les économistes de la Banque Royale pensent que la reprise se fera surtout en 2021.
Les responsables des politiques ont agi décisivement pour soutenir les revenus et les salaires. La Banque du Canada ne réduira sans doute pas les taux d’intérêt sous le niveau actuel de 0,25 % pour le taux à un jour. Cependant, elle continuera d’acheter de grandes quantités d’obligations gouvernementales, de titres hypothécaires (comme le fera aussi la SCHL), d’acceptations bancaires et de papier commercial. Elle réduira ainsi le coût des fonds pour les banques et améliorera la liquidité de tous les marchés. Le rapport de la Banque Royale note qu’au total,le train de mesures gouvernementales de soutien s’élève à 11,5 % du PIB, ce qui en fait un des plus importants parmi les pays développés.