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9 Juil

Portrait budgétaire : Déficit et dette bien plus importants que prévu

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Publié par: Robert Perrier

Un déficit époustouflant

Le ministre des Finances, Bill Morneau, a présenté son portrait budgétaire aujourd’hui. La plupart des économistes prévoyaient un déficit budgétaire d’environ 260 milliards de dollars. Au lieu, le gouvernement a annoncé pour l’exercice 2020-2021 un déficit de 343,2 milliards de dollars – près de 16 % du PIB. Avant la pandémie, le déficit prévu était de 34,4 milliards de dollars.

Une bonne part de la différence peut être attribuée au 212 milliards de dollars de mesures de soutien direct que le gouvernement fédéral fournit aux particuliers et aux entreprises. Le directeur parlementaire du budget, gardien de la rigueur budgétaire du pays, avait initialement estimé que le déficit s’élèverait à 256,2 milliards de dollars. Entre-temps, les recettes fiscales ont encore baissé, la PCU a été prolongée de huit semaines et la subvention des salaires a été augmentée.

Il n’y a pas que les dépenses des programmes liés à la pandémie. Le ralentissement économique occasionne une part de 81,3 milliards de dollars du déficit de 2020-2021. Les dépenses sont à leur plus haut niveau depuis 1945, et la récession a aussi miné les recettes. Elles baisseront, en part de l’économie, à leur plus bas niveau depuis 1929.

Le premier ministre a soutenu que l’économie serait en bien plus mauvaise posture si ce n’était des mesures prises par le gouvernement, entre autres, pour éviter que les ménages doivent encore davantage s’endetter. « Nous avons fait un choix très précis et délibéré d’aider les Canadiens dans cette pandémie, de reconnaître que des gens ont perdu leur emploi du jour au lendemain, a dit M. Trudeau à des journalistes à Ottawa. Nous avons décidé d’assumer cet endettement pour éviter que les Canadiens ne doivent le faire. »

Le gouvernement peut assurément financer sa dette à bien moindre coût que les ménages. Les taux d’intérêt à long terme pour le gouvernement du Canada n’ont jamais été si bas, sous le taux de l’inflation. Le rendement des obligations de 10 ans du gouvernement du Canada est de 0,56 %, et des obligations de 30 ans, à peine au-dessus de 1,0 %. Par conséquent, les frais d’intérêt de la dette croissante du gouvernement sont très modestes.

En outre, la flambée temporaire de la dette d’Ottawa est très largement absorbée par la Banque du Canada, avec ses achats d’obligations. La part des obligations du gouvernement fédéral dans le portefeuille de titres de la Banque a augmenté fortement, de moins de 14 % au début de l’année à environ 27 % aujourd’hui. Elle est pourtant toujours inférieure à la part des obligations du gouvernement national dans le portefeuille de la banque centrale au Japon, en Allemagne et en Suède, par exemple. La dette nette de l’ensemble du secteur public du Canada reste modérée en comparaison d’autres grandes économies, surtout en comparaison des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la zone euro.

Déclin du PIB

Selon le rapport, l’économie canadienne se contractera de 6,8 % cette année, puis remontera de 5,5 % l’an prochain. Ce sera la plus grande contraction de l’économie depuis la Grande Dépression. Dans l’exercice 2020-2021, elle sera deux fois plus grande qu’en 2009-2010 à la suite de la crise financière mondiale.

Entre février et avril, 5,5 millions de Canadiens ont soit perdu leur emploi, soit subi une réduction importante de leurs heures de travail. Ces pertes ont porté le taux de chômage à 13,7 % en mai, après la plus forte hausse de tous les temps, à partir du faible niveau de 5,5 % de janvier, avant la crise.

Le ministre Morneau a dit que sans les programmes gouvernementaux face à la pandémie, le PIB aurait reculé de plus de 10 %, et le chômage aurait augmenté de 2 points de pourcentage de plus.

Stratégie face à la dette

Le gouvernement prévoit maintenant que la dette arrivera à 49,1 % du PIB dans l’exercice entamé le 1er avril. Elle était à 31,1 % l’année passée. Dans son discours, le ministre Morneau n’a pas fait de prévisions au-delà de 2020, ni indiqué de plans budgétaires futurs sinon pour dire que le Canada continuera de préserver son avantage d’un faible endettement relativement à d’autres grandes économies. La situation est facilitée par le fait que les taux d’intérêt sont à des creux historiques. Les frais de la dette publique sont de fait en baisse, par suite de la chute du coût des emprunts.

« Nous devrons tous assumer collectivement nos emprunts et veiller à ce qu’ils soient viables à long terme pour les générations futures, affirme le ministre des Finances. La structure de la dette du Canada est prudente et échelonnée dans le temps, et elle se compare favorablement à celle des pays membres du G7. Nous continuerons de veiller à maintenir cet avantage dans les mois et les années à venir. »

Les dépenses du gouvernement fédéral, comme le déficit, sont sur le point d’atteindre un sommet de tous les temps en pourcentage du PIB, hormis la période de la Deuxième Guerre mondiale. Les dépenses des programmes augmenteront de 69 %, à 592,6 milliards de dollars ou 27,5 % du PIB – contre en moyenne environ 15 % depuis 50 ans.

Il y a déjà 80 milliards de dollars pour le principal programme de soutien du revenu, la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Un des changements annoncés dans le document de mercredi est un supplément de presque 40 milliards de dollars pour le programme de subvention salariale du gouvernement, le portant à 82,3 milliards de dollars. Ces chiffres indiquent que le gouvernement prévoit une transition, à partir de septembre, délaissant la prestation de 2000 $ par mois pour les Canadiens.

En somme

Le gouvernement se targue d’avoir mis en place le plan d’intervention économique le plus complet du G20 en réponse à la pandémie (voir le graphique ci-dessous).

Selon le document du portrait budgétaire : « La solide situation financière du Canada, lors de l’apparition de la pandémie, a permis au gouvernement de mettre en œuvre un plan d’intervention économique ambitieux selon les normes internationales. Les mesures d’aide financière directe représentaient à elles seules plus de 10 % du PIB du Canada, comparativement à 6,7 % en moyenne pour les pays du G7, la majeure partie de l’aide étant destinée aux particuliers et aux ménages. En comparaison, le plan des États-Unis consacre également une grande partie de son aide directe aux particuliers et aux ménages, mais dans une moindre mesure. Au-delà de sa taille totale, qui est l’une des plus importantes du G7 et du G20, le plan du Canada est aussi l’un des plus complets, couvrant une gamme plus large de mesures que la plupart des plans annoncés dans les pays comparables. Le Canada est notamment l’un des rares pays à avoir annoncé à la fois un programme national d’aide à la location commerciale pour les petites entreprises et un crédit non remboursable pour les petites et moyennes entreprises. »

Espérons que le gouvernement n’envisage pas des mesures de restriction avant d’être certain que la pandémie a été contenue et que la reprise économique est fermement lancée. La dernière chose qu’il nous faudrait aujourd’hui est une augmentation des taxes. Nombreux sont ceux qui craindront que ce soit le résultat de tout cet endettement. Une bonne part des coûts budgétaires ponctuels s’effaceront à mesure que l’économie se rétablira. Il est toutefois essentiel que nous évitions de soutenir des entreprises qui ne sont plus viables dans le monde de l’après-pandémie. Nous voulons aussi nous assurer que la PCU et d’autres mesures de soutien du revenu ne dissuadent pas des personnes de retourner au travail quand des emplois sont disponibles.

Le gouvernement n’a pas fait de prévisions au-delà de l’exercice actuel. Vu l’incertitude quant à une éventuelle deuxième vague du virus et quant au moment où un vaccin sera disponible, de telles prévisions auraient été hautement hypothétiques. Le ministre Morneau présentera une mise à jour à l’automne.

Dre Sherry Cooper
Économiste en chef, Centres hypothécaires Dominion

drcooper@dominionlending.ca